L’école à la maison, une rentrée difficile pour les associations
« rien — ni dans la loi, ni dans le décret du 15 février visant à préciser les modalités de délivrance d’autorisation — n’éclaire les contours flous du motif 4 et de la « situation propre à l'enfant ». »
Par Carla Monaco
Publié le 14 septembre dans Le Monde
La substitution du régime déclaratif 4 celui d'autorisation obstrue bon nombre de demandes pour faire l’instruction en famille. Notamment en raison d’une modalité imprécise issue de la loi « séparatisme ».
À la rentrée scolaire, tous les enfants ne sont pas allés en classe. Certains d’entre eux font l’école à la maison. Ils étaient 71700 en juin, soit environ 0,5 % des éléves en France, à bénéficier du systéme de l’instruction en famille (IEF), selon les derniéres données du ministére de l'éducation nationale. Combien sont-ils en cette rentrée ? Pour l’instant le ministére ne communique pas de chiffres, car ils ne sont « pas encore stabilisés ».
Les très actives associations qui défendent I’IEF font, elles, remonter depuis plusieurs semaines leurs inquiétudes. En point d’orgue, une journée de mobilisation est prévue le 15 septembre. Dans leur viseur, les conséquences de la loi du 24 aout 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi contre les « séparatismes »), accusée de nourrir de nombreux refus de la part des autorités.
En cette rentrée, certains enfants se retrouvent de fait dans une situation de flottement. Ni inscrits dans un établissement scolaire proche de chez eux, faute de l'avoir fait, ni autorisés à recevoir un enseignement à leur domicile. Car bon nombre de familles voient leurs demandes refusées, dans certaines académies.
Fortes disparités entre les territoires
À défaut de chiffres consolidés du ministère, les associations donnent les leurs. Ainsi, 68 % des parents essuieraient un refus pour leur enfant nouvellement en instruction en famille, d’aprés une enquéte réalisée par la Coordination pour la liberté d’instruction (Coopli). « Aujourd’hui, des familles nous contactent pour savoir quelles académies acceptent plus que d'autres », se désole Emmanuelle (elle n’a pas voulu donner son nom), de l'association Les Enfants d’abord (LEDA), qui a participé à l'étude. Parmi les rectorats les plus réticents, figureraient Toulouse, Grenoble, Dijon, Besangon, Rennes ou encore Orléans, selon la Coopli.
Avant la loi contre les « séparatismes », une simple déclaration suffisait. Les familles doivent désormais justifier leur demande auprés de leur rectorat. Quatre motifs sont valables : les raisons de santé et de handicap, la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, l’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de l’école, et enfin « existence d’une situation propre a l'enfant motivant un projet éducatif ».
Selon les associations, ce dernier motif nourrirait de nombreux refus, qui s'appuieraient sur l’impossibilité d’établir l’existence d’une « situation propre ». Le ministére, contacté par Le Monde, relativise l’importance du phénomène : « Au 1°juillet, le motif 4 représentait seulement 9,6 % des demandes déposées. » Un peu plus de la moitié d’entre elles, 53 %, ont regu une réponse positive.
Lors de son audition devant la commission des affaires culturelles le 2 aout, Pap Ndiaye a reconnu de fortes disparités entre les territoires. « Dans certains départements, c’est un non trés massif. Dans d'autres, les académies fournissent des réponses plus ouvertes. Nous devons absolument équilibrer les choses à l'échelle du pays pour limiter ces écarts. Il nous faut harmoniser et, pour cela, instruire les services académiques », a ajouté le ministre de l’Éducation nationale.
Contours flous
En attendant une telle harmonisation, les parents qui se voient notifier un refus s’organisent. En premier lieu, ils peuvent contester la décision rectorale sous quinze jours, laquelle donne lieu a un nouvel examen du dossier en commission académique au maximum un mois aprés. Un dédale qu’a bien connu Lydie Legal, parent instructeur de deux enfants dans le Gard. L'académie de Montpellier lui a refusé sa demande au motif 4 pour instruire son fils âgé de 3 ans, notamment parce qu'elle n’avait pas le baccalauréat. Un sésame devenu obligatoire pour justifier de sa « capacité » à enseigner, selon la loi. Aprés nouvel examen, la commission l’a finalement autorisée « au regard de la qualité de l'instruction fournie à [sa] fille » instruite à la maison depuis deux ans.
En deuxième lieu, si la contestation échoue, des recours sont déposés devant le tribunal administratif. Certains de ces dossiers ont déja fait l'objet d’ordonnances en référé qui temoignent surtout d’une difficulté : définir ce qu’est une situation propre à l’enfant. « La défense classique du rectorat, c'est de dire qu'il n'y en a pas, parce qu'il n'y a pas de raisons médicales ou d’éloignement géographique. Sauf que ces deux raisons répondent déja aux motifs 1 et 3 » signale Me Antoine Fouret, en charge d’une quarantaine de dossiers au sujet de refus d’instruction.
Beaucoup de familles qui recourent au motif 4 disent privilégier l’IEF pour donner plus d’autonomie, pratiquer des pédagogies alternatives (type Montessori), ou protéger leur enfant d’un environnement qu’il ne supporte pas.
Mais, si ce n’est l’apport d’un projet éducatif, de preuves de la disponibilité et de la capacité de l'instructeur de l'enfant, rien — ni dans la loi, ni dans le décret du 15 février visant à préciser les modalités de délivrance d’autorisation — n’éclaire les contours flous du motif 4 et de la « situation propre à l'enfant ». Laissant les académies le définir elles-mêmes. Selon M° Antoine Fouret, les recours des familles forceront progressivement l’Etat 4 clarifier la loi : « C'est un sujet qui va exciter les tribunaux pendant plusieurs années avant que ça ne remonte au Conseil d’État, le temps qu'il détermine ce qu’est une situation propre à l’enfant. »
Par Carla Monaco
Publié le 14 septembre dans Le Monde
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