Non à la mort programmée de l’instruction en famille !
TRIBUNE
Les associations et collectifs appellent à poursuivre la mobilisation pour la liberté d’instruction
« La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. »
- Art. 5 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen
La lutte contre l’article 49 de la loi « Confortant les principes de la République » n’est pas terminée. Désormais soumise à un régime d’autorisation injuste, arbitraire et liberticide, l’instruction en famille est menacée de disparition à courte échéance. Nous appelons toutes les familles en instruction en famille (IEF) et scolarisantes à poursuivre la mobilisation pour rétablir cette liberté fondamentale et indispensable !
Dès le 1er mars 2023 s’ouvre la nouvelle campagne de demandes d’autorisation pour celles et ceux voulant poursuivre ou débuter la belle aventure de l’instruction en famille. Dès aujourd’hui, de nombreux parents commencent à rassembler les innombrables justificatifs exigés par les autorités, et, pour ceux relevant du fameux motif 4 (« situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif »), à plancher sur leur projet éducatif.
Dans tout le pays, collectifs et associations – et même cabinets d’avocats – accompagnent les familles dans ces démarches complexes et remplies d’incertitudes. L’enjeu est de taille, car choisir l’instruction en famille est une décision importante. Il s’agit non seulement de prendre la responsabilité d’instruire son enfant, mais aussi de revoir toute l’organisation familiale afin d’accorder le temps et les moyens nécessaires à ce projet. L’IEF n’est jamais un choix pris à la légère… Il s’agit au contraire d’un véritable projet de vie, qui entraîne de nombreux bouleversements et une réorganisation de sa vie professionnelle et personnelle.
Pourtant, nous, associations et collectifs, nationaux et locaux, considérons que les dés sont d’ores et déjà pipés : même avec les meilleurs dossiers possibles, même avec des projects éducatifs parfaitement argumentés, rien ne peut garantir aux familles qu’elles obtiendront le précieux sésame – en particulier dans certaines académies comme Toulouse, Besançon, Nice, Orléans/Tours ou Créteil.
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Opérons un petit retour en arrière pour comprendre comment la mort programmée de l’instruction en famille en dehors de certains cas médicaux dûment justifiés a déjà été actée par le gouvernement.
Début d’été 2022 :
La première saison du nouveau régime d’autorisation pour l’instruction en famille s’ouvre de manière dramatique pour d’innombrables familles. Si le gouvernement et les rectorats affichent officiellement des taux d’acceptation importants (« la plupart des demandes ont été satisfaites » selon le patron de la DGESCO), ces résultats dissimulent une réalité bien plus sombre : 85% des dossiers acceptés sont pour l’essentiel ceux dits de « plein droit », autrement dit ceux concernant des enfants étant déjà en IEF et bénéficiant d’une dérogation, que les Directions départementales de l’Éducation Nationale (DSDEN) ne peuvent donc légalement pas refuser. Rappelons cependant que ces autorisations de « plein droit » prendront fin à la rentrée 2024.
En revanche, pour les nouvelles demandes, les disparités de traitement entre les départements et entre les académies sont ubuesques, de l’aveu même du ministre de l’Éducation Nationale. Ici, les dossiers sont acceptés en nombre… Là, des dossiers similaires sont refusés en masse. Le ministre de l’Éducation Nationale lui-même s’en est ému, et évoque une nécessaire harmonisation… Mais pour l’heure, rien n’a changé.
À certains endroits comme dans l’académie de Toulouse le taux de refus dépasse 90% pour les nouvelles demandes (et même 100% dans le Tarn pour les demandes « motif 4 » de l’aveu même de la directrice académique). Dans certaines familles, les fratries se retrouvent ainsi divisées, avec un ou plusieurs enfants déjà en IEF bénéficiant d’une autorisation de plein droit, et un nouvel arrivant forcé d’aller à l’école. Avec pour seule justification quelques lignes laconiques dans un courrier de refus. À ce stade, on se demande déjà comment est évalué l’intérêt supérieur de l’enfant…
Août/septembre 2022 :
Après les recours d’usage auprès des rectorats (bien souvent infructueux), les familles se tournent massivement vers les tribunaux administratifs. Les audiences en référé suspension s’enchaînent, et la loterie judiciaire succède à la loterie administrative : selon les juges, les réponses divergent considérablement sans qu’aucune tendance puisse réellement être dégagée. Cette situation met alors en lumière une autre disparité : celle qui se creuse entre les familles qui peuvent assumer - financièrement et psychologiquement - une longue procédure judiciaire, et celles qui n’en ont pas les moyens. Au lieu de lutter contre les inégalités, cette loi en crée de nouvelles…
Rentrée 2022 :
Les premières audiences au fond ont lieu, et là encore, les décisions démontrent les errements de la justice. Le tribunal de Rennes donne raison aux familles et considère qu’il suffit de disposer d’une capacité à instruire et d’un projet éducatif sérieux pour bénéficier d’une autorisation pour « motif 4 ». Mais le tribunal de Melun et celui de Besançon, eux, ont exigé l’existence d’une situation « particulière » de l’enfant justifiant le choix de l’instruction en famille.
D’autres décisions de fond sont attendues dans les semaines et mois qui viennent… Mais les pronostics ne sont pas en faveur des familles IEF.
13 décembre 2022 :
Le Conseil d’État dépossède les familles d’une partie de leurs droits parentaux par une décision radicale. Quelques mois plus tôt, plusieurs associations de défense de l’IEF ont attaqué les décrets du 15 février 2022 réglementant l’instruction en famille en réclamant leur annulation. En rendant sa décision, le Conseil d’État s’est prononcé sur le fameux motif 4, à l’origine de la majorité des litiges avec l’administration. Résultat : il déclare que « l’autorité administrative, saisie [d’une demande pour motif 4], contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant, motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille et qu’il est justifié ». En d’autres termes, le Conseil d’État exige que les familles justifient de la situation propre de leur(s) enfant(s).
Pire encore : ce que le gouvernement n’a pas réussi à obtenir, ni par la loi ni par les décrets d’application, le Conseil d’État essaie de lui fournir par une interprétation législative glissée aux juges des tribunaux administratifs. Dans le préambule de sa décision entérinant les décrets, le juge a en effet glissé une nouvelle condition extra-légale pour le motif 4 : en plus de présenter une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, en plus de s’assurer que le projet éducatif soit conforme au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, et que le parent atteste de sa capacité à instruire son enfant, le Conseil d’État déclare qu’il appartient à l’autorité administrative « de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d’une part dans un établissement ou école d’enseignement, d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt. ».
Les hauts fonctionnaires de l’administration insinuent ainsi que l’État est plus compétent que les parents (et les jeunes eux-mêmes) pour définir la forme d’instruction la plus conforme à l’intérêt supérieur de chaque enfant… En introduisant une telle compétition entre les établissements scolaires et les familles, il prive littéralement ces dernières de leur capacité de choisir sans la tutelle de l’État, et ouvre la porte à encore davantage d’arbitraire administratif. Quant au droit fondamental des enfants d’être entendus pour les décisions les concernant directement, il est tout simplement nié.
17 décembre 2022 :
Le rouleau compresseur de l’État ne s’arrête pas là. À Rennes, plusieurs familles ayant eu gain de cause devant le tribunal administratif apprennent que le ministère de l’Éducation Nationale fait appel des décisions devant le Conseil d’État. Le 13 décembre, le Conseil d’État avait déjà annulé une décision du Tribunal Administratif de Toulouse en faveur d’une famille… Un tel acharnement dépasse l’entendement…
En ce début d’année 2023, nous devons nous rendre à l’évidence : le gouvernement veut en finir avec l’instruction en famille sous des prétextes fallacieux.
Pourtant, rappelons ici les mots rassurants de Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation Nationale, qui s’exprimait le 6 avril 2021 devant le Sénat :
« Nous sommes très respectueux des familles qui ont choisi l’instruction en famille pour de bonnes raisons. Elles n’ont rien à craindre de la future loi, et il est dommage de dépenser de l’énergie contre un texte qui ne fera pas de tort à ceux qui n’ont aucune raison de le craindre. »
Mais aujourd’hui, ces belles paroles de notre ancien ministre, comme toutes les autres, se sont envolées depuis longtemps. Les rectorats, aux ordres du Ministre de l’Éducation Nationale, ne feront pas de cadeaux aux familles cette année.
Face à cette grave dérive liberticide, les parents sont poussés à des choix extrêmes. Scolariser leur(s) enfant(s) contre leur gré, entrer en désobéissance civile, quitter le pays, tenter de passer sous les radars… Un comble pour une loi censée contribuer à la lutte contre le séparatisme !
Plus que jamais, nous devons continuer de nous battre pour préserver la liberté d’instruction.
Parce que l’éducation pour tous n’est pas synonyme d’éducation pour chacun.
Parce que la diversité éducative est source de grandes richesses.
Parce que tous les enfants peuvent, un jour, avoir besoin de faire un pas de côté suite à du harcèlement, à une phobie scolaire ou toute autre raison.
Parce que l’émancipation et l’épanouissement de nos jeunes ne pourront jamais se faire sous la contrainte.
Pour cette nouvelle saison, nous appelons chacune et chacun à poursuivre la mobilisation contre cette loi injuste et liberticide !
Ne laissons pas l’instruction en famille disparaître dans l’indifférence !
Une nouvelle campagne d’actions va s’ouvrir, Rejoignez vos associations et collectifs, nationaux et locaux !
** SIGNATAIRES **