Tribune : Dites les parents, c’est quoi le séparatisme ?
Alors que le débat autour de l’application de la loi dite « Séparatisme » doit s’ouvrir demain à l’Assemblée Nationale, le NonSco’llectif plaide pour la liberté d’instruction.
Alors tu vois… c’est l’histoire de dominants qui rééduquent le peuple, en mode cool.
Et mettre au pas les Gaulois·e·s réfractaires, c’est moins une affaire de politique économique que de réorientation des aspirations collectives.
Alors un matin d’octobre 2020, dans un contexte sanitaire symptomatique de notre impréparation à l’anthropocène, un concept-carcan vient figer notre vieille République dans une phobie de la diversité : le « séparatisme ». Ce distracteur sera implémenté via la loi confortant le respect des principes de la république (CRPR), un texte islamophobe qui confortera surtout les principes réac…
Son volet éducation s’inscrit dans un projet plus global d’embrigadement de la jeunesse : l’article 49 sclérose le droit à l’éducation, en le résumant à une obligation de scolarisation en établissement. La responsabilité de l’Inclusion est transférée aux enfants et à leurs familles, ou plutôt à leur capacité à se conformer au modèle dominant.
Ils savent comment manipuler les peurs.
Pour légitimer dans l’opinion publique cette décision, « sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 », une fiction alarmiste est créée autour d’une minorité : les enfants instruits en famille (IEF). Malgré un consensus assez large autour de sa sociologie, cette modalité éducative va devenir « un risque » dont il faut protéger la société, en légiférant.
Tollé dans les rangs des droites, chez qui la valeur famille traditionnelle (un papa, une maman) fonde tous les systèmes d’identités et d’appartenance. Les conservateur·ices s’inquiètent des impacts sur le droit naturel fondamental, inaliénable, pour les parents, de décider quelle Éducation donner à leurs enfants. Une dérogation à l’article 49 est donc imaginée, qui consiste en un crible calibré pour « les familles qui font bien » (sic J.M. Blanquer), aka celles dont le capital social, économique, culturel et symbolique est reconnu par la doxa.
Les parlementaires godillots valident, enthousiasmé·es par le mythe méritocratique. Les nostalgiques d’un outil qui forme les héritier·es et socialise les petits sauvages raflent la mise.
L’appareil d’État se met En Marche.
Et chaque rouage, à l’aune de ses valeurs éducatives personnelles, va jauger du degré de séparatisme présent dans l’instruction en famille de quelques dizaines de milliers d’enfants. Désormais libres de classer ces jeunes parmi les ennemi·es de l’intérieur, la direction générale de l’enseignement scolaire ferme la porte aux nouveaux entrants.
Alors que notre système éducatif échoue à servir les multiples dimensions de l’Intérêt Supérieur de tous les enfants, la nouvelle obligation légale de scolarisation en établissement génère une pensée simple, prête-à-consommer : « l’école, c’est bon pour les enfants ». Cette simplification a des effets pervers, mesurables chez les jeunes scolarisés en établissement, et tangibles en IEF. On ne compte plus les jeunes issus de familles itinérantes et de voyageurs qui subissent une sédentarisation au travers d’une scolarisation administrative inadaptée. Ni les enfants sortis d’un dispositif IEF, juste pour vérifier que l’acte I de l’école inclusive n’a pas les moyens de ses ambitions.
Si la famille s’oppose à ces maltraitances, on déclenchera systématiquement une Information Préoccupante, on coupera les allocations, on convoquera au poste ou au tribunal, on mettra des amendes ; etc. Dévaloriser les alternatives, assigner une place, contraindre les corps, pathologiser les différences, sanctionner : de vieilles ficelles des dominant·es, qui favorisent l’émergence de gourous et sauveurs de tous poils.
Le poison du Séparatisme diffuse et capitalise.
Par exemple quand l’extrême-droite rencontre les associations IEF pour recueillir leur expertise, LA question qui la taraude est : « Est-ce que vous considérez que le séparatisme islamiste existe en France ? ». La bête a faim : après 3 années de stigmatisation, quels Autres les parents qui instruisent en famille sont-ils prêts à livrer ? Ont-ils des propositions pour satisfaire les honnêtes gens, en améliorant le ciblage de la chasse à l’enfant ? Ce brouillard brun oriente la pensée vers toujours plus de dispositifs sécuritaires, pensés dans un cadre référentiel laïciste-raciste.
Comme succédané à une liberté perdue, la start-up nation nous prescrit plus de marchandisation des savoirs : micro-écoles privées pour entre-soi privilégié, ou « chèque-éducation » dont les effets pervers sur le renforcement des inégalités sociales n’est plus à démontrer
Voilà le séparatisme que nous parents, nous voyons se renforcer.
Le séparatisme naît de choix politiques, au service d’un projet éducatif élitiste, capitaliste, adultiste, raciste, sexiste et transphobe, négationniste, validiste, spéciste.
Pour les enfants, comme pour les enseignant.es qui ont à cœur de faire au mieux pour eux, nous souhaitons que notre système éducatif s’apaise en gagnant en fluidité, en capacité de partage de l’accès aux savoirs, en solidarité, en confiance. L’IEF est à la croisée de la communauté éducative et de la société civile, et peut enrichir de sa singularité chacun de ces axes de progression, dans la mesure où on l’inclut, vraiment. Nous voulons que les enfants, scolarisés en établissement ou pas, soient protégés contre toutes formes d’oppressions. Tout commence par l’enfance : affranchir les jeunes personnes des injustices structurelles est le premier pas pour lutter contre la convergence des haines et le séparatisme.
L’équipe du NonSco’llectif
Notre tribune dans la revue Combat
Nos chaleureux remerciements à celles et ceux qui accompagnent notre réflexion :
- Prune Helfter-Noah, magistrate.
- Laurence Dudek, psychopédagogue.
- Teddy Ti_boug_Bumidom, enseignant.
- Chloé Oudin-Gasquet, psychologue.
- Manuèle Lang, journaliste.
- William Acker, juriste.
- Angèle Préville, élue après une carrière d’enseignante.